Camille Robert, Université du Québec à Montréal
L’historien et sociologue Fernand Harvey remarquait que les grèves, comme événements historiques, sont révélatrices de tensions qui existent de manière latente dans les structures sociales. Alors que l’historiographie syndicale et ouvrière québécoise s’est surtout intéressée aux conflits de travail dans les secteurs masculins de la production, je souhaite me pencher sur l’événement-grève comme révélateur d’une « crise de la reproduction sociale » survenue à partir de la décennie 1980, au moment du tournant néolibéral de l’État québécois. À partir d’entretiens, d’archives syndicales, gouvernementales et de quotidiens, j’examinerai les grèves des travailleuses de la santé en 1986 et 1989 à travers trois « identités » : celles d’infirmières (où les compétences professionnelles servent de socle pour tenir un discours défendant la qualité des soins) de femmes en grève (opposées à un État-employeur « macho et paternaliste ») et de femmes racisées (qui luttent contre une organisation du travail fortement ségréguée, exacerbée par les mesures néolibérales). Ces trois perspectives offrent de situer les grèves dans le cadre de luttes qui touchent le travail de reproduction sociale dans sa globalité ; luttes qui ne concernent pas que des conditions d’emploi négociées, mais l’ensemble du travail de care, qu’il soit réalisé à domicile, en clinique ou en milieu hospitalier.