Sophie Doucet, historienne indépendante, et Peter Gossage, Université Concordia

Depuis une vingtaine d’années, en Europe et aux États-Unis, les relations adelphiques ont fait l’objet d’un bon nombre de travaux historiens, qui ont souligné l’importance des liens entre frères et sœurs pour comprendre la famille et les rapports entre famille et société. Notre communication souhaite inscrire le Québec dans cette conversation historienne, en observant les fonctions de la fratrie à l’ère industrielle, à travers la fenêtre originale de procès en justice civile et criminelle, dans les régions de Montréal, Québec et Trois-Rivières. Nous proposons en effet de nous pencher sur quelque 198 procès dans lesquels frères et/ou sœurs sont impliqués (identifiés dans le cadre du projet Familles, droit et justice au Québec, 1840-1920), comme parties prenantes ou comme personnages satellites (par exemple, témoins). À travers ces événements judiciaires, qui couvrent un vaste éventail de litiges (héritage, diffamation, curatelle, délinquance, séparation, causes criminelles), nous tenterons d’observer les émotions qui tissent et meuvent les rapports entre frères et sœurs. Nous verrons d’un côté agir des émotions attendues dans le cadre de conflits interpersonnels judiciarisés, telles que la jalousie, la colère, la haine, l’amertume, le ressentiment. D’un autre côté, en dépit du caractère foncièrement conflictuel des procès, nous verrons poindre dans ces dossiers judiciaires des sentiments de solidarité très forts entre frères et sœurs, comme l’affection, la compassion, la tendresse, la responsabilité mutuelle. Les événements particuliers et probants que sont les procès en justice nous permettront ainsi de constater que dans un Québec industriel où le filet social est très mince, la fratrie représente pour beaucoup le premier, voire le seul, refuge matériel et émotionnel.