Marie-Claude Thifault, directrice de l’Unité de recherche sur l’histoire du nursing, Université d’Ottawa

L’histoire des infirmières a longtemps était perçue et écrite sous l’angle de l’irénisme. Ces douces et dociles anges-gardiennes, animées par une vocation favorisant l’esprit de sacrifice et de compromis, étaient là pour apaiser les souffrances, les tensions et les mœurs. Même au cœur du premier conflit mondial, elles restaient ces anges, blancs ou bleus, venues panser les plaies et soulager les cœurs. Pourtant, l’histoire de la professionnalisation des infirmières au Canada ne se fit pas sans heurts, sans luttes, sans cris et sans oppositions. Au contraire, les conflits furent nombreux, animés, parfois virulents. Pourtant, l’historiographie les a longtemps ignorés, négligés, tus, comme s’ils ne pouvaient pas convenir à l’image que la profession tentait de se donner. Même quand ils furent précisément documentés, comme ce fut le cas de la grève des infirmières de l’hôpital Sainte-Justine en 1963, la tentation fut grande de maintenir l’image traditionnelle de l’infirmière calme et docile (on parla alors de la « colère des douces »). C’est pour dépasser cette historiographie trompeuse et réductrice, et ainsi redonner du relief à l’histoire des infirmières canadiennes et de leur professionnalisation, que nous proposons de revenir dans ce panel sur certains conflits qui ont marqué l’histoire des infirmières canadiennes-françaises et québécoises au cours du XXe siècle. Depuis les vifs échanges autour de la Loi des infirmières en 1922 jusqu’aux grandes grèves de 1989 en passant par les mobilisations des gardes-malades francophones à l’occasion du congrès international des infirmières de 1929 à Montréal, il s’agira ici d’interroger le conflit infirmier en tant qu’événement à part entière, bien que souvent négligé, tant de l’histoire de la profession que de celle de l’Amérique française.